Au cœur de la mécanique paralympique, quand les orthoprothésistes réparent plus que des équipements
Résumé
Dans les coulisses des Jeux Paralympiques, les orthoprothésistes vont bien au-delà de simples réparations. Valentin Petit Brocart, orthoprothésiste chez Ottobock, nous plonge dans son quotidien au cœur du village paralympique, où son équipe intervient en urgence pour remettre en état les équipements des athlètes. Confrontés à des défis techniques complexes, ils déploient leur expertise, soutenue par des innovations comme l’impression 3D, tout en créant des liens uniques avec des sportifs venus des quatre coins du globe. Valentin nous révèle l’importance méconnue de ce travail minutieux, essentiel à la performance et au bien-être des compétiteurs.
« Bonjour Valentin, merci d’être avec nous aujourd’hui. Depuis une semaine, j’imagine que vous avez reçu beaucoup de sollicitations de la part des médias concernant les jeux paralympiques. Comment vivez-vous ce flot de demandes ? »
Valentin Petit Brocart : « Oui, en effet, nous avons reçu beaucoup de demandes. Ce n’est pas forcément habituel pour nous d’être aussi sollicités, mais nous nous adaptons à cette situation. »
« Pour commencer, peux-tu nous expliquer ton rôle en tant qu’orthoprothésiste chez Ottobock durant les Jeux Paralympiques ? »
Valentin Petit Brocart : « Avec plaisir ! Chez Ottobock, nous sommes les seuls autorisés à intervenir sur les Jeux Paralympiques pour tout ce qui concerne la réparation et l’entretien des prothèses, orthèses et fauteuils roulants. Nous avons un grand centre de réparation au cœur du village paralympique, mais aussi plusieurs postes sur les différents sites de compétition, en tout 15 lieux répartis autour des Jeux. Notre équipe est composée d’orthoprothésistes, de techniciens d’ateliers et également des spécialistes des fauteuils roulants. »
« Vous êtes répartis sur plusieurs sites ? Comment ça fonctionne concrètement ? »
Valentin Petit Brocart : « La majorité du travail se fait dans notre centre de réparation au village, où nous avons la plupart de nos outils et équipements. C’est là que nous pouvons réaliser les plus grosses réparations. Nous avons aussi des postes sur chaque site de compétition, équipés d’un peu de matériel pour intervenir en cas d’urgence. Imaginons un athlète sur le point de commencer une course au Stade de France. Si, juste avant le départ, un pneu de son fauteuil crève, nous devons intervenir immédiatement. Un autre exemple : lors d’un tournoi de tennis en fauteuil à Roland-Garros, il peut arriver qu’un pneu crève pendant un match. Dans ce cas, nous devons intervenir très vite pour changer la pièce défectueuse, et cela peut se produire pendant le match. »
« Quel est le rôle spécifique des orthoprothésistes ? »
Valentin Petit Brocart : « Mon rôle en tant qu’orthoprothésiste est d’intervenir sur tout ce qui touche aux prothèses et orthèses. Chaque jour, les techniciens réparent des pièces endommagées pour les athlètes. Parfois, il ne s’agit pas seulement de réparer : il faut remplacer certains éléments, voire ajuster ou recréer une prothèse entière. On se rend parfois compte qu’il est nécessaire de refaire une emboiture ou de remplacer un genou cassé. Il est essentiel d’être en contact direct avec le patient pour prendre en charge leurs besoins, faire les adaptations nécessaires ou effectuer les réglages. C’est là que notre rôle est le plus important, c’est pourquoi il y a aussi des orthoprothésistes présents sur site. »
« Pour toi, que signifie accompagner les athlètes sur un tel événement ? »
Valentin Petit Brocart : « C’est une expérience vraiment unique et une immense opportunité d’être ici. Dans notre métier habituel, on n’est pas toujours en contact direct avec des athlètes de haut niveau, et encore moins dans le contexte des Jeux Paralympiques. Personnellement, en tant que grand amateur de sport, c’est incroyable de pouvoir participer de l’intérieur à un événement de cette ampleur et de venir en aide à ces patients.
Aussi, ce qui est enrichissant, c’est qu’on on aide aussi des sportifs venant de nations où les équipements sont moins développés. Parfois, ils arrivent avec des prothèses ou des fauteuils dans un état d’usure assez avancé, bien différent de ce qu’on peut voir dans nos ateliers en France. »
« Lorsque vous aidez ces athlètes, leur proposez-vous des nouveaux équipements ou des solutions de remplacement ? »
Valentin Petit Brocart : « Notre priorité est de réparer les équipements. Nous ne sommes pas là pour remplacer les prothèses ou les fauteuils roulants. Au sein d’Ottobock, nous avons une équipe de 5 à 6 personnes chargées de prendre les informations à la réception et de déterminer avec le patient ce qui doit être changé ou réparé. Si un patient demande le remplacement de roues de fauteuil roulant qui sont en bon état, mes collègues lui expliquent que ce n’est pas possible.
Ce qui peut compliquer un peu les choses, c’est que les équipements varient d’un pays à l’autre. Chaque délégation utilise des technologies différentes, et il arrive que nous n’ayons pas les mêmes pièces en stock. Dans ce cas, nous devons improviser en utilisant des pièces fournies par Ottobock. Cela implique de faire preuve d’adaptation et de créativité, mais nous faisons toujours en sorte que l’équipement soit fonctionnel et sécurisé. »
« Tu parlais des défis techniques que vous rencontrez. Quels sont ceux qui reviennent le plus souvent pendant les Jeux ? »
Valentin Petit Brocart : « Le plus souvent, les réparations concernent les fauteuils roulants. Les pneus et les freins sont souvent les premiers à nécessiter des réparations, car ils sont beaucoup sollicités. Il arrive que nous ayons à intervenir sur des réparations plus complexes. C’est pour ça que notre centre de réparation est équipé d’un atelier complet avec une salle des machines pour usiner des pièces et un poste de soudure. Nous avons aussi des machines à coudre pour fabriquer des sangles ou des assises de fauteuils, ce qui est parfois nécessaire pour remettre un fauteuil en état.
Pour les prothèses, les réparations les plus fréquentes concernent les manchons. Par exemple, un athlète peut arriver avec un manchon en mauvais état, qui ne fournit plus le même niveau de confort ou d’ajustement. Si le manchon est trop usé, cela peut affecter l’efficacité de la prothèse et provoquer des douleurs ou des irritations pour l’athlète. Parfois, nous devons aussi remplacer des composants de la prothèse, comme un genou ou une emboîture, en fonction des besoins de l’athlète. »
« Comment se passent vos interactions avec les athlètes dans ces moments-là ? »
Valentin Petit Brocart : « La première évaluation permet de prendre les informations et d’expliquer ce qui peut être fait ou non. Ensuite, lorsque nous avons des questions ou si nous constatons qu’un changement est nécessaire, nous allons voir le patient pour valider les modifications avec lui. Par exemple, si nous devons remplacer un équipement et que nous n’avons pas exactement le même modèle, nous discutons avec le patient pour nous assurer qu’il est d’accord avec les ajustements proposés.
Dans 95 % des cas, nous réussissons à répondre à leurs besoins. En général, ces échanges se déroulent très bien et les patients sont satisfaits. La plupart des interactions sont chaleureuses, joyeuses et offrent de bons moments d’échange. Nous avons même un petit jeu amusant avec les échanges de pin’s au village. »
« Concernant les innovations que vous proposez chez Ottobock, as-tu observé des avancées récentes en matière de technologie ou de matériaux ? »
Valentin Petit Brocart : « Oui, absolument. Nous avons intégré plusieurs innovations intéressantes, et certaines sont mises en œuvre ici même, pendant les Jeux. Par exemple, pour tout ce qui est prothèses tibiales, nous utilisons désormais des scanners 3D pour capturer la forme exacte du membre amputé. Une fois le scan effectué, nous pouvons modifier les paramètres directement sur ordinateur, ce qui nous permet d’adapter la prothèse de manière très précise.
Nous utilisons également des imprimantes 3D pour créer des emboîtures de test et même des emboîtures définitives. Cela change notre manière de travailler. Au lieu de fabriquer des emboîtures en carbone, par exemple, nous imprimons ces pièces en 3D directement sur place. Pendant les Jeux, nous avons imprimé plusieurs emboîtures définitives en utilisant ces technologies, ce qui nous a permis de répondre rapidement aux besoins des athlètes. »
« Quels ont été les retours des athlètes concernant ces innovations ? »
Valentin Petit Brocart : « Les retours ont été positifs. Les athlètes sont souvent impressionnés par la rapidité du processus. Le fait de pouvoir scanner un membre, corriger les paramètres sur ordinateur et imprimer une emboîture en une nuit, c’est quelque chose d’innovant. Cela permet de tester la prothèse dès le lendemain matin, ce qui est un gain de temps considérable par rapport aux méthodes plus traditionnelles. Les athlètes apprécient la précision du scan 3D, qui permet un ajustement très personnalisé. »
« Y a-t-il des matériaux spécifiques que vous utilisez dans ces nouvelles prothèses ? »
Valentin Petit Brocart : « Oui, nous utilisons principalement nylon pour les emboîtures définitives, et PETG pour les prothèses d’essai. Pour les technologies plus classiques, nous continuons à utiliser des résines et du carbone, comme dans les prothèses traditionnelles. »
« Les Jeux Paralympiques accueillent des athlètes de différentes délégations, certains venant de pays où les ressources et les technologies ne sont pas aussi avancées. Est-ce que tu penses que ces différences se manifestent sur le terrain ? »
Valentin Petit Brocart : « Chez Ottobock, nous ne sommes pas là pour éliminer ces écarts. Notre objectif est de réparer les équipements et de faire en sorte qu’ils soient fonctionnels. Mais dans le processus de réparation, on aide parfois à réduire un peu cet écart technologique. Par exemple, si un athlète vient avec des roues très usées, nous allons les remplacer par des pneus neufs et des roulements en bon état, ce qui peut améliorer ses conditions de compétition. Cela permet de compenser un peu les inégalités, mais encore une fois, ce n’est pas notre mission. Nous nous concentrons avant tout sur les réparations nécessaires. »
« Est-ce que tu peux nous décrire une journée type pour toi pendant ces Jeux ? »
Valentin Petit Brocart : « C’est difficile de parler d’une journée type, car aucune journée ne se ressemble. Cela dépend beaucoup de l’endroit où nous travaillons et de l’équipe dans laquelle nous sommes. Il y a trois équipes : une qui travaille de 8h à 16h, une autre de 11h à 19h, et la dernière de 15h à 23h. Nous avons des horaires étendus pour couvrir les urgences potentielles, car les compétitions se déroulent tout au long de la journée. Le centre de réparation dans le village des athlètes est notre point central. C’est souvent après le déjeuner que nous avons le plus de demandes. C’est également à ce moment-là que les trois équipes se croisent, ce qui rend l’atelier très animé. Nous travaillons tous ensemble, et c’est un moment de partage entre les différentes nationalités de l’équipe – il y en a plus de 40 au total.
Il y a aussi des journées où je suis sur un site de compétition. Dans ces cas-là, c’est souvent plus calme, et nous attendons qu’un athlète vienne nous voir pour un problème. Par exemple, à Roland-Garros, les athlètes passaient devant nous avant chaque match, donc nous pouvions vérifier que tout allait bien. À d’autres moments, nous étions en retrait, prêts à intervenir en cas de besoin. Ce sont des journées moins intenses, mais tout aussi intéressantes, car nous avons la chance d’être au cœur de l’action sportive. »
« Est-ce qu’il y a un moment en particulier qui t’a marqué pendant ces Jeux ? »
Valentin Petit Brocart : « Oui, il y a eu plusieurs moments mémorables, mais l’un des plus marquants s’est passé au Stade de France. J’étais en mission là-bas avec un collègue, et nous avons été appelés par une coach belge pour réparer le fauteuil de son athlète. Leur équipe a eu un peu de mal à se repérer et à trouver l’entrée du stade, ce qui a fini par être assez comique. Finalement, nous avons fait l’intervention dans un parking à côté du stade, en réparant le fauteuil dans la pénombre, alors que l’athlète s’échauffait à moitié dans le noir. C’était un moment assez insolite, mais cela montre bien à quel point nous devons-nous adapter à des situations inattendues. Travailler dans des conditions hors du commun, c’est aussi ça les Jeux Paralympiques. »
Merci, Valentin Petit Brocart, d’avoir partagé ton expérience et ces moments marquants avec nous. Nous tenons également à exprimer notre gratitude à l’équipe d’Ottobock.